Maman, je t'aimais, je t'aime et je t'aimerai...
Maman, je t'aimais...
A 71 ans ma mère était en pleine forme, dynamique, sportive, débrouillarde, tout ça depuis que mon père l'avait quittée 20 ans plus tôt pour une autre.
Je lui ai parlé le lundi 13 décembre 2004 à 13 heures, juste avant "Les feux de l'Amour". Je voulais la convaincre de venir passer Noël à Mérignac, chez moi, mon frère Philippe étant au Brésil pour 6 mois, à la recherche d'un éventuel emploi. Je n'ai pas été très convaincante car j'avais à l'époque des soucis de famille recomposée entre les 3 enfants de mon ex et les 2 miens. "Je suis contente, il fait beau aujourd'hui. Le brouillard a disparu, je vais enfin pouvoir sortir en vélo", m’a-t-elle dit. « Embrasse bien tout le monde ».
Sans permis de conduire et sans auto, ma mère se déplaçait toujours à vélo ou à pied. Souvent elle nous racontait un camion qui l’avait frôlée ou une voiture qui lui avait coupé la route et l’avait obligée à sauter dans le fossé. La dernière fois que je l’ai vue elle en avait encore parlé. « Un jour je me ferai renverser sur la 113 », disait-elle. Elle était donc toujours très prudente.
Le mardi j'ai déjeuné à la cantine d’entreprise, avec des collègues, et puis je suis allée faire un tour dans la galerie commerciale de Mériadeck. Je revois très bien où j'étais quand mon téléphone a sonné. Aurélien en pleurs (16 ans 1/2) : "Mamie s'est fait écraser par un camion. Elle est morte". Je suis rentrée chez moi comme une somnambule et puis nous sommes allés à l'hôpital d'Agen et à la gendarmerie, avec mes fils et leur père, dont j'étais déjà divorcée.
L'accident avait eu lieu la veille à 15H15, juste après les feux de l'amour. Ma mère avait pris son vélo comme d'habitude et était partie faire des courses dans la zone commerciale d'Agen. Un semi-remorque qui n'aurait pas dû passer là parce que la route est étroite l'a doublée et envoyé valdinguer sur des pierres. Les secours sont arrivés assez vite mais les gens l'avaient déplacée, elle et son vélo pour passer plus vite, et le chauffeur du camion s'est enfui malgré les klaxons des voitures derrière lui.
Elle a été emmenée à l'hôpital d'Agen où elle est décédée quelques heures plus tard, sans que nous ayons été prévenus. Les gendarmes n'ont pas fouillé son portefeuille où elle avait soigneusement noté nos coordonnées. Ils ont juste été chez elle, à l'adresse indiquée sur sa carte d'identité et où -bien sûr- elle n'était pas... J'ai été à la morgue, la reconnaître, seule, et discuter avec le médecin des urgences. De toute façon j'étais sonnée. Ma soeur Pascale n'a pas pu. J'ai dit à tous qu'elle n'avait pas souffert, qu'elle était tombée immédiatement dans le coma, mais je n'en sais rien. Le soir il a fallu que je prévienne mon frère au Brésil, mon frère qui vivait avec elle... Le lendemain j'étais au boulot, parce qu'en parler est ce qui me libère le plus.
Des témoins sont venus raconter : ceux qui avaient klaxonné pour obliger le camion à s’arrêter, une dame qui s’était arrêtée plus loin effondrée, parce qu’elle avait eu elle aussi un accident quelques semaines auparavant. Ils ont décrit le vélo et la dame, bien sur le côté, le camion qui passait trop près en la doublant et l’accrochait, la projetant sur le côté.
Les gendarmes ont retrouvé le chauffeur du camion grâce aux caméras vidéo du centre commercial et aux débris de feux de croisement du camion parsemés sur le lieu de l'accident. Il a reconnu être passé là à l’heure maudite mais a nié avoir renversé une cycliste et s’être enfui.
Les témoignages n’ont pas été jugés valides car le camion n’était pas correctement décrit et rien n'a pu être prouvé car le corps avait été déplacé... Le rapport de gendarmerie a émis plusieurs hypothèses dont une selon laquelle ma mère aurait quasiment provoqué elle-même son accident en venant s’accrocher au camion. Fourmi contre éléphant, pot de terre contre pot de fer…
Nous avons appris plus tard que le chauffeur de camion, âgé d’une trentaine d’années, avait déjà eu un accident grave dans l’année. Il a eu une attaque cérébrale quelques mois plus tard et est décédé...
Pour faire mon deuil j’avais besoin de connaître la vérité, et je ne la saurai jamais…
Raconter fait un peu revivre ma mère et me permet de dire à quel point je l’aimais … Je ne le lui ai pas assez dit de son vivant. Je n’ai pas pris assez soin d’elle, ni été assez présente…
Impossible de me racheter… Dites « Je t’aime » à ceux que vous aimez…