Le club des frigos qui en avaient assez de voyager…
Je vous ai déjà parlé de "Voyage", recueil composé de 118 récits, poèmes, nouvelles et images, conçus par 113 auteurs et illustrateurs (dessinateurs, peintres, photographes) dont le plus jeune a 7 ans, réunis autour d’un même thème, un même projet.
Les droits d’auteurs et bénéfices réalisés grâce aux ventes de cet ouvrage, sont entièrement reversés à l’association "Rêves", dans le but de réaliser le rêve d'un ou plusieurs enfants gravement malades.
Vous pouvez commander directement "Voyage" sur Book Edition, pour la modique somme de 15€ le livre papier ou 6€ en format numérique en cliquant ICI.
Sur chaque exemplaire papier, 6,32 € sont reversés à l'association "Rêves" (et 2,31 € par exemplaire numérique).
J'ai reçu hier matin les 4 exemplaires soigneusement emballés par Quichottine et son Archange.
Il y a dans ce recueil de très jolies histoires courtes, des poèmes, et de belles illustrations...
Voici ma participation à cette anthologie :
Le club des frigos qui en avaient assez de voyager…
La scène se passe dans la recyclerie d’une grande ville, au rayon « gros électro-ménager »
Les acteurs : trois frigidaires en fin de vie : 7, 17 et 27 ans
Aucune marque ne sera citée pour ne pas faire de contre publicité
L’époque : 2017
Le plus jeune :
Depuis que j’ai quitté les entrepôts j’ai déménagé 6 fois. A la dernière je suis tombé. Diagnostic : porte du congélateur enfoncée, envoi à la recyclerie
Mes premiers voyages ont été épiques. Je vais vous les raconter.
J’ai été acheté par un jeune homme et installé dans son appartement au 3ème étage d’une résidence à Etauliers.
J’en suis parti un dimanche de 2010 pour une petite promenade de 200 kms en camping car, vers Dax et le 1er étage d’un immeuble du centre ville.
La descente sans ascenseur a été difficile, le transport s’est bien déroulé sous une pluie battante mais la dernière étape a été la plus coriace.
L’escalier était très étroit, fortement enroulé sur lui-même. J’étais blanc, froid, lourd et rigide.
Le jeune homme, encouragé par sa copine, me soulevait et me tirait devant, marche à marche. Son père et son oncle me soulevaient par derrière et me faisaient avancer peu à peu.
Je n’ai pas voulu tourner avec l’escalier. Je me suis coincé : impossible de descendre ou de monter ! Plus besoin de me tenir : l’escalier me tenait et je bouchais complètement l’escalier. Mur de Berlin : deux personnes bloquées en haut, trois bloquées en bas… Aucun autre moyen de passer !
Que faire ? Impossible d’écarter les murs, de démonter l’escalier, ni de modeler mes parois pour me rétrécir . Un peu de plâtre est tombé du mur, une marche de l’escalier vermoulu s’est effritée, mais je suis resté coincé !
"Soulevons le un peu, ça va passer…"
Leurs dernières forces ont été utilisées pour me soulever un peu, me pencher : je me suis désencastré et j’ai continué ma progression. Sur le palier, une planche à roulettes de déménageur a permis de me transporter facilement jusqu’à mon emplacement final.
Le jeune homme dégoulinait de partout. Il avait sacrément eu peur de me perdre, moi, son frigo tout neuf...
L'appartement était grand mais vieillot et très bruyant. Les tourtereaux (le jeune homme et sa copine) ont décidé de déménager. Ils ont loué une petite maison neuve un peu plus excentrée, pour le même prix, avec un garage et une place de parking.
Un dimanche de 2011 leur famille est venue les aider à déménager du vieil appartement vers la maisonnette. Ils avaient tous peur de l'escalier et de moi, surtout l’oncle qui proposait de me descendre par le balcon, avec des sangles et une poulie.
Mais les déménagements se suivent et ne se ressemblent pas ! Cette fois je suis passé dans l'escalier comme une lettre à la boite !
Le père de la jeune femme m’a fait prendre le tournant dans l'escalier avec dextérité sans qu'il n’y ait aucun heurt...
Dans la nouvelle maison le jeune homme m’avait préparé un petit nid : quelques carreaux posés sur le sol du garage pour m'accueillir...
Deux ans plus tard, le jeune couple s’est installé dans la banlieue de Nantes dans un bel appartement presque neuf. Le jeune homme avait été embauché dans une grande entreprise à 45 km au sud de Nantes.
C’était mon 3ème voyage : Dax-Nantes (500 km). J’ai été transporté dans une remorque et nous avons crevé 2 fois.
Et puis la jeune femme a trouvé du travail, dans une grande entreprise elle aussi, en Vendée, à 100 kms de Nantes. Ils ont donc décidé de déménager en Vendée, à mi-chemin entre leurs deux établissements.
C’était mon 4ème voyage : Nantes-Sainte-Hermine (50 km). J’ai encore déménagé en famille. Sans problème. Une petite fille est née.
Puis mon jeune homme a trouvé un travail à Angoulême, pour se rapprocher de Bordeaux. Mon 5ème voyage a été le plus luxueux, en camion de déménagement…
Sainte-Hermine Barbezieux : 210 km
Sa jeune femme a trouvé du boulot quelques mois plus tard à Cognac.
Lui aussi. Ils sont partis s’installer à Cognac
6ème déménagement : Barbezieux-Cognac (34 km), en famille. C’est là que je suis tombé et me suis fracturé la porte du congélateur…
Le 2ème frigo, tout petit, un « top » raconte lui aussi.
Une vie dans un petit appartement qui ne servait que l’été. Porte ouverte, porte fermée. Pendant des années.
Porte ouverte, porte fermée.
Porte oubliée, le moteur a cramé. Il a été désincarcéré, arraché des gonds, embarqué dans le coffre d’une voiture, abandonné lâchement la nuit au bord d’une plage.
Et le voyage a commencé. Il y avait encore de l’air dans ses entrailles : il a flotté, été ballotté par les flots, a navigué puis s’est échoué sur une plage, au bord de l’Océan Atlantique.
Il faisait désordre sur ce sable blond, et il a été ramassé et emporté à la déchetterie.
Le 3ème : le plus vieux, le plus solide, simplement démodé.
Il vivait tranquille dans une famille sans problème. La dame le nettoyait soigneusement et rangeait tout avec doigté. Les enfants se servaient de yaourts, de crèmes glacées. Il les a vus grandir et puis partir.
Le couple a vieilli.
La dame a disparu. Il est resté seul avec le vieux monsieur, n’était plus nettoyé, empestait lorsque fruits et légumes pourrissaient.
Le vieux monsieur a disparu.
Les enfants ont tout pris, tout emmené à la déchetterie...