Un livre passionnant : "Les couleurs de l'incendie" de Pierre Lemaitre...
J'ai pu lire ce livre en avant-première grâce à Lecteurs.com. Je m'étais inscrite pour rencontrer Pierre Lemaitre à Paris, à l'occasion de la promotion de son nouveau livre, et j'ai été selectionnée, ce qui m'a permis de recevoir ce livre gratuitement.
La rencontre devait être courte (20 minutes) et il m'aurait fallu passer la journée dans les transports en commun, alors je préfère le rencontrer sur Bordeaux ou Arcachon.
Informations pratiques : ce roman de Pierre Lemaitre est la suite de "Au revoir là-haut", paru début 2018 aux Editions Albin Michel.530 pages. 22,90 €
La 4ème de couverture :
Février 1927. Le Tout-Paris assiste aux obsèques de Marcel Péricourt. Sa fille, Madeleine, doit prendre la tête de l'empire financier dont elle est l'héritière, mais le destin en décide autrement. Son fils, Paul, d'un geste inattendu et tragique, va placer Madeleine sur le chemin de la ruine et du déclassement.
Face à l'adversité des hommes, à la cupidité de son époque, à la corruption de son milieu et à l'ambition de son entourage, Madeleine devra déployer des trésors d'intelligence, d'énergie mais aussi de machiavélisme pour survivre et reconstruire sa vie. Tâche d'autant plus difficile dans une France qui observe, impuissante, les premières couleurs de l'incendie qui va ravager l'Europe.
Couleurs de l'incendie est le deuxième volet de la trilogie inaugurée avec Au revoir là-haut, prix Goncourt 2013, où l'on retrouve l'extraordinaire talent de Pierre Lemaitre.
Mon ressenti :
Ce roman est passionnant et dans la même lignée qu'Au revoir là-haut, dont la lecture n'est pas indispensable pour apprécier celui-ci : personnages bien campés, dans une période trouble soigneusement décrite à petites touches.
De 1927 à 1933 nous allons suivre la vie de Madeleine Péricourt, fille d'un riche banquier et soeur d'Edouard, blessé au visage pendant la Grande Guerre. Edouard avait changé d'identité et monté une arnaque aux monuments aux morts avant de se suicider dans le premier tome. Sa soeur Madeleine avait quant à elle épousé Pradelle, officier sans scrupule et sans morale dont elle avait eu un fils, Paul.
Je n'avais pas aimé le personnage de Madeleine, riche et molle, flottant sur son petit nuage dans le livre "Au revoir là-haut", et encore moins dans le film. Comment avait-elle pu épouser Pradelle ?
Je ne l'ai pas plus appréciée dans ce second tome où elle va s'entourer mal, se laisser dépouiller complètement, "déclasser" sans s'occuper ni se soucier de rien, même pas d'ouvrir le coffre dont son père lui a laissé la clé. C'est l'opposé de son ex-mari, Pradelle, rusé et à l'écoute du monde qui l'entoure pour profiter de tout. Elle est obnubilée par le geste de Paul, lors de l'enterrement de son grand-père
Puis elle va se réveiller et organiser une vengeance diabolique, déversant sa haine sur tous ceux et celles qui ont abusé de sa confiance.
Il n'y a pas une seule belle personne dans ce roman. Madeleine est naïve mais ne va commencer à agir que pour faire du mal. André, le journaliste est odieux, tout comme Joubert ancien bras droit de son père, Charles, son oncle député, ou même Léonce, sa seule amie.
Paul, devenu paraplégique, n'est pas meilleur que les autres et va monter lui aussi une affaire pour vendre un placebo. Il est le seul à avoir des circonstances atténuantes.
Tout le long du livre je me suis demandée ce que pouvait cacher Vladi, l'infirmière Polonaise qui prend soin de Paul, et qui n'apprendra pas un seul mot de Français.
Il n'y a dans ce livre que des escrocs, des arnaqueurs, des profiteurs, et même un violeur.
J'ai pensé à Zola pour certains passages. Madeleine m'a rappelé Myriam, la mère dans "Chanson douce" de Leila Slimani qui ne s'aperçoit pas de la détresse et des difficultés financières des autres, ne perçoit pas les signes avant-coureurs des abus de confiance.
C'est bien écrit et Pierre Lemaitre s'est longuement documenté sur la période et les sujets abordés : corruption de la presse et des banques, scandales boursiers. J'ai donc appris beaucoup de choses sur cette période de l'entre deux-guerres en le lisant.
Le titre, court -contrairement aux romans actuels- est bien choisi : le feu couve en Europe avec la montée du nazisme et du fascisme.
Quelques extraits :
- "Charles ferma douloureusement les yeux. Oui, parce qu'à force de payer des commissions tous azimuts, les Sables et Ciments de Paris avaient dû, pour préserver leurs bénéfices, livrer des matériaux moins coûteux, des bois moins secs, des mortiers moins denses, des bétons moins armés. Un premier étage tout entier avait failli devenir le rez-de-chaussée, un maçon était passé à travers le plancher, ont avait étayé en toute hâte. Et le chantier avait été arrêté."
- "Son geste de défenestration ne cessait de la tarauder. Elle ne pouvait s'empêcher d'y retrouver celui de son frère Edouard. Tous deux se jetaient dans le vide. L'un sous les roues de la voiture de son père, l'autre sur le cercueil de son grand-père. M. Péricourt était le lieu géométrique sur lequel toute la famille venait s'écraser."
- "Son mâle envahi par le doute oupar la colère, c'était le signe immanquable qu'il allait rebondir, les grands fauves sont ainsi, c'est blessés su'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes. Plus il semblait défait, plus elle était victorieuse."
- "Elle se consolait en constatant que la maison avait repris une vie à peu près normale, du moins, autant que pouvait l'être un lieu qui voyait cohabiter un enfant à demi paralysé, une nurse qui ne parlait pas un mot de français, un journaliste appointé pour ne rien faire, une dame de compagnie qui avait tapé dans la caisse plus de quinze mille francs et l'héritière d'une banque familiale qui n'avait aucune idée de ce qu'étaient un seuil de cession ou une valeur nominale de créance".
- "Robert ne pensait pas beaucoup mais il était doué d'une intelligence pulsionnelle, il sentait les choses, les situations, il savait se mettre à couvert lorsqu'il le fallait, profiter quand il le pouvait, se satisfaire si c'était possible et se sauver dès que le danger survenait".
- "C'était une pièce assez petite, mais l'exiguïté n'était pas l'inconvénient principal, non, le problème c'était le bruit. Pas celui des voisins, celui qu'ils vous interdisaient de faire"